Expliquer les concepts qui sous-tendent le Silent Way

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Les brefs extraits qui suivent sont tirés d’un article plus long que Patricia Benstein a présenté en Australie et qui décrit sa thèse doctorale « Une vue d’ensemble du Silent Way – Les concepts théoriques et leur application ». A plusieurs reprises, dans ce qui suit, elle s’est inspirée d’un entretien qu’elle a eu avec Roslyn Young en novembre 1994 ainsi que de la lecture du livre de Roslyn, On Learning (De l’apprentissage*), et de l’observation de cours Silent Way au Centre de Linguistique Appliquée de Besançon.

Ce qu’est le Silent Way

Le Silent Way est généralement défini comme une méthode d’enseignement des langues étrangères dans laquelle les enseignants sont silencieux la plupart du temps et utilisent des réglettes et des tableaux comme leurs principaux instruments d’enseignement. Bien que les enseignants Silent Way utilisent les réglettes et les tableaux la plupart du temps, il peut y avoir de l’enseignement Silent Way sans ces outils, de même qu’il peut y avoir des enseignants qui utilisent les outils conseillés mais qui ne suivent pas vraiment le Silent Way

La confusion se produit lorsque l’on comprend le Silent Way comme une méthode d’enseignement plutôt que comme une approche de l’enseignement.

Une méthode se réfère à « un plan d’ensemble pour la présentation ordonnée du matériel de la langue, dont aucune partie ne contredit (et tout est fondé sur) l’approche choisie. Une approche est axiomatique, une méthode est une procédure. » (E. Anthony, « Approach, method and technique, » English Language Teaching)

Une approche se réfère à « un ensemble d’hypothèses corrélatives qui traitent de la nature de la langue et de la nature de l’enseignement et de l’apprentissage de la langue. Une approche est axiomatique… Elle établit un point de vue, une philosophie… » (Anthony). Caleb Gattegno utilisa la même approche de l’enseignement pour les mathématiques, la lecture et l’écriture, les langues et d’autres sujets scolaires. Je considère que la caractéristique commune à toutes ces approches est ce que Gattegno a appelé « La subordination de l’enseignement à l’apprentissage. » Le Silent Way est le nom qu’on donne à la subordination de l’enseignement à l’apprentissage lorsqu’elle est appliquée aux langues étrangères. La subordination de l’enseignement à l’apprentissage signifie qu’on focalise son enseignement sur des besoins de l’apprenant. Gattegno avait coutume de dire « J’enseigne aux personnes et elles apprennent la langue. » Ceci signifie que l’enseignant et l’élève se concentrent sur des choses différentes pendant la leçon. C’est la tâche des élèves de gérer leur apprentissage ; c’est le travail de l’enseignant de travailler sur les élèves en présentant la langue de telles façons qu’elles forcent la prise de conscience et la présence à l’instant.

Dans une classe Silent Way, la subordination de l’enseignement à l’apprentissage peut être mise en ouvre selon la séquence suivante :

  1. L’élève fait une expérience avec la langue.  Il produit une phrase, une construction grammaticale, une combinaison de sons.
  2. L’enseignant donne un feed-back au sujet de l’expérience en indiquant la présence d’une erreur ou d’une imperfection.  Ce feed-back représente l’expérience ou essai de l’enseignant. Notez que le feed-back n’inclut jamais la correction de la faute mais uniquement une indication d’où elle se trouve.
  3. L’élève fait une expérience supplémentaire en essayant de se corriger, ce qui fournit un feed-back à l’enseignant.
  4. L’enseignant déduit de la phrase produite si son essai était approprié ou utile.
  5. Le cycle continue jusqu’à ce que la production de l’élève soit adéquate, correcte et vraie.

Le Moi

Le Moi, selon Gattegno, est l’énergie créatrice libre qui est au centre de son être. Le Moi n’est pas un organe et n’a pas de siège anatomique : c’est une énergie.
C’est le Moi qui rencontre l’inconnu pour se familiariser avec lui.

Le Moi doit être distingué du psychisme qui est une énergie bloquée qui consiste en apprentissages antérieurs qui sont devenus des automatismes.

Si un élève rencontre pour la première fois la forme du « Present Perfect Continuous » qui n’existe pas en français ni en allemand, il est sage d’utiliser le Moi, ce qui signifie être complètement ouvert à une nouvelle prise de conscience plutôt que d’essayer de chercher dans le psychisme ce qui ne peut pas s’y trouver. Pourtant, si l’on veut taper à la machine, le psychisme fournira les automatismes qui soutiennent cette activité.

Les enseignants Silent Way doivent s’assurer que les élèves utilisent leur Moi pour faire face à de nouvelles situations d’apprentissage et qu’ils utilisent leur psychisme quand des apprentissages précédents automatisés économiseront de l’énergie. Les enseignants Silent Way doivent garder en tête les divers attributs du Moi qui comprennent, entre autres, la volonté, l’adaptation, le sens de la vérité, l’objectivation, la patience, la discrimination, l’imagination, le sens de l’harmonie, la concentration, la vulnérabilité, la passion, la liberté, la conscience, l’intelligence, la sensibilité, l’action, la perception et l’abstraction.

L’apprentissage a lieu lorsque de nombreux attributs du Moi sont engagés simultanément. Les apprenants d’une langue doivent être vulnérables, prêts à regarder le monde d’un regard neuf à travers la nouvelle langue. Ils doivent employer leur volonté pour faire de leur apprentissage un succès. Ils doivent être curieux et sentir le besoin de connaître quelque chose de neuf tout le temps. Ils doivent être sensibles pour atteindre une écoute toujours plus fine de la langue.

Les enseignants Silent Way utilisent ce modèle du Moi pour encourager les élèves à « mettre le Moi au timon » et à s’adresser aux attributs spécifiques du Moi qui peuvent être bloqués chez un apprenant. Ainsi, un enseignant peut encourager un élève à passer à l’action en lui tendant le pointeur et en lui demandant de faire quelque chose alors que cette personne n’a été engagée que dans les attributs d’abstraction ou d’imagination. Ou, si un élève passe toujours à l’action sans utiliser son intelligence, l’enseignant peut s’adresser à un autre attribut tel que le sens de la vérité pour le ralentir.

Le but est toujours d’atteindre l’harmonie et l’équilibre entre les attributs en faisant appel à tous, de sorte que l’élève puisse garder le Moi au timon. Une compréhension du Moi et du psychisme nous aide à saisir les processus internes qui ont lieu chez tout apprenant dans tout apprentissage, ce qu’on appelle : « Les quatre étapes de l’apprentissage »

  • 1ère Etape : Rencontre initiale avec l’inconnu
    Les élèves doivent avoir le Moi au timon pour apprendre de nouveaux savoir-faire.
    Plusieurs essais peuvent être nécessaires pour obtenir des résultats positifs.
  • 2ème Etape : Pratique des savoir-faire
    Les savoir-faire deviennent assez développés pour être appliqués à diverses situations.
    Les élèves peuvent gérer leur propre pratique.
    Les savoir-faire sont intégrés pour stockage dans le psychisme.
  • 3ème Etape : Maîtrise des savoir-faire
    Les savoir-faire sont bien intégrés dans le psychisme.
    Les élèves se défient eux-mêmes en étendant leurs savoir-faire.
  • 4ème Etape : Application des savoir-faire
    Les savoir-faire sont devenus complètement automatiques.  Il ne faut pas d’énergie mentale pour s’en servir.
    Les savoir-faire sont subordonnés pour affronter d’autres défis.

La Conscience

La conscience joue un rôle si fondamental dans le modèle de Gattegno qu’il a été appelé, « Le modèle de la conscience » (C. De Cordoba, « A Proposal Based on the Silent Way and its Underlying Theory for the Improvement of Current Teaching Programs…, » Thèse de doctorat non publiée, International College, Los Angeles, 1986). Gattegno utilise le mot conscience dans beaucoup de contextes différents pour décrire des phénomènes différents. La conscience est pour lui le résultat de l’observation de soi qu’il exige des enseignants Silent Way ; la conscience décrit un état d’être qui conduit à la « réflexion dans l’action » pour les enseignants Silent Way ; elle décrit une vigilance qui comprend la connaissance et la vivacité.

Pour obtenir une définition plus précise, j’ai dû retourner aux termes français de « conscience » et « prise de conscience ». Le mot français « conscience » qui se traduit à peu près par « awareness / consciousness / knowing », peut être défini comme la connaissance qu’ont les êtres humains de leur état d’être, de leurs actes et de leur valeur morale. La « conscience » permet aux êtres humains de se sentir exister, d’être présents à eux-mêmes. Le terme français semble être utilisé plus largement que le terme anglais « awareness » et je pense que c’est ce que Gattegno voulait dire quand il disait que les enseignants Silent Way doivent être conscients en tant que personnes pour pouvoir être utiles à leurs élèves.

L’autre aspect d’« awareness » lui aussi n’est compris que si l’on se réfère à l’expression française « prise de conscience ». Gattegno parle de la tâche de l’enseignant de « provoke awarenesses » (provoquer les prises de conscience) indiquant – par son utilisation du pluriel – qu’il ne veut pas dire conscience comme un état de l’être mais comme un état de réalisations, reconnaissances et compréhensions multiples. « Prise » vient de « prendre » dans le sens de « gélifier ». Ainsi Gattegno utilise le terme pour décrire une prise de conscience qui, comme l’a expliqué Roslyn Young, se solidifie à un certain moment, ce qui la rend tangible et plus facilement observable. Ce sont ces « gélifications de la conscience » que les enseignants Silent Way essaient de provoquer dans leur enseignement.

Les prises de conscience peuvent être grandes ou petites. Si un élève a une question brûlante qu’il retient avec un haut degré de tension, la prise de conscience, quand elle survient, va être plus grande que si la question était au fond de son esprit et de son Moi depuis un temps plus court.

C’est la tâche de l’enseignant Silent Way de provoquer des prises de conscience parce qu’elles constituent l’apprentissage. Les enseignants Silent Way essaient de transmettre non des connaissances mais un savoir-faire. Il se peut qu’ils posent des questions plutôt que de donner des réponses; ils encouragent les élèves à rester avec la tension et ils utilisent le silence pour fournir l’espace dans lequel les élèves peuvent parvenir à une prise de conscience.

© Patricia Benstein – Faculty of Education School of Teaching and Curriculum Studies
La Science de l’Education en Questions – N° 14 – mai 1996

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