Conscience et l’apprentissage humain

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Je remercie Roslyn Young dont l’article « De la conscience et de la prise de conscience » dans La Science de l’Education en Questions N° 5 m’a incitée à écrire. Dans son article, Roslyn exprime avec clarté sa compréhension concernant « awareness » et les raisons pour lesquelles les francophones, généralement parlant, comprennent « awareness » en termes de « prises de conscience » ou un processus en cours, alors que les anglophones comprennent « awareness » comme un état d’être.

Il est fascinant de découvrir pour nous-mêmes jusqu’à quel point notre « mode de pensée » nourri culturellement affecte notre compréhension de ce que nous rencontrons. Gardant ceci en esprit, je formulerai ce que « awareness » veut dire pour moi. La relation intime entre « awareness » et l’apprentissage humain en fera partie.

Dans ce qui suit, vous trouverez l’impact du mode de pensée hindou. Mon espoir est que vous ne soyez pas happé par la saveur soi-disant exotique de ce mode de pensée au point de passer à côté de l’évidence de l’acte humain de transcendance qui a lieu à chaque fois qu’une « donnée » est complètement comprise et, donc, intégrée pleinement à l’être, créant un utilisateur pour qui cette « donnée » devient un instrument pour des explorations à venir.

Awareness – un attribut humain – est l’éclairage qui permet aux êtres humains de voir ce-qui-est comme il est. Dans d’autres termes, par le fait même d’être humain, nous sommes dotés d’énergie humaine dont la présence nous permet de voir ce qui existe comme étant réellement là, alors que c’était resté inconnu de nous jusqu’ici.

« Awareness », l’énergie humaine, est présente aussi en tant que « sa propre dynamique » dans les « sens intérieurs humains », par exemple, notre sens de la vérité. Le fonctionnement de ce sens intérieur consiste en une recherche constante de la vérité, et en la vérification de la vérité de tout ce que nous rencontrons dans notre relation à nous-mêmes et au monde qui nous entoure. Cette recherche faite par chacun de nous est une activité spécifiquement individuelle guidée par notre propre sens de la vérité et en rapport avec nos propres sujets d’intérêt. L’énergie qui l’énergise est la conscience humaine, notre lien humain commun. Alors que l’éclairage qu’est la conscience rayonne avec fermeté et clarté, nous liant avec « l’inconnu », sa dynamique fortifie et définit le rythme de notre existence alors que nous mobilisons et exerçons nos sens intérieurs avec ‘l’énergie humaine de la volonté’ – un autre attribut humain. Par exemple, avec notre sens « volontaire » de la vérité, imprégnée de la dynamique de la conscience, nous développons les critères intérieurs qui nous servent de points de référence pour nos actions dont sont faites les expériences de la vie.

Mais, comme nous le savons tous, nos actions ne sont pas toutes enracinées dans notre volonté.

Il y a nos actions et nos expériences, que nous amorçons avec l’énergie de la volonté humaine. Pleinement impliqués à les vivre, au fur et à mesure que nous les traversons, nous apprenons avec la totalité de nous-mêmes.

Mais certaines de nos expériences nous sont imposées contre notre volonté. Elles engendrent une tension qui entraîne la division en nous, la tension de l’ambivalence. Nous agissons et vivons de telles expériences à contrecœur, tout en souhaitant ne pas avoir à le faire. Nous les subissons au lieu de les vivre.

Il y a aussi nos actions et nos expériences activées et nourries par « l’élan de nos arrière-pensées ». Par exemple, nous pouvons nous comporter de façon à plaire aux autres pour gagner des faveurs en retour; nous pouvons manipuler les autres pour ressentir notre pouvoir sur eux; nous pouvons exploiter des situations à notre avantage au prix d’autrui, etc. Ce sont nos actes « sans volonté ». Bien que nous les fassions, ils ont peu à faire avec la volonté humaine. Nous sommes inconscients de ce fait, comme nous sommes inconscients de l’élan qui en est à l’origine. Nous pouvons vivre de tels actes avec ferveur mais, en fait, nous sommes « vécus » par eux comme nous sommes « vécus » par les expériences qu’ils engendrent.

Nous traitons nos actions et nos expériences – qui sont voulues et amorcées par nous-mêmes – avec notre esprit conscient qui, parce que faisant partie de nos sens intérieurs, est pénétré de la dynamique de la conscience. Impliqués dans ce processus, nous apprenons à évoluer dans notre humanité. Le processus d’apprentissage permet à notre avenir humain de descendre habiter notre présent. L’esprit attentif et vigilant, nous savons ce que nos actions et nos expériences, de par leur essence même, signifient pour chacun de nous et aussi dans le contexte humain plus élargi en relation avec autrui dans notre vie. Le processus de savoir la signification est le fonctionnement de notre esprit conscient. L’énergie qui fournit l’énergie du processus est la conscience humaine. Nous intégrons nos expériences, une fois traitées, dans la totalité de notre être avec l’énergie de l’affectivité – un autre des attributs humains, la source en nous de l’intégrité humaine qui travaille à l’unisson avec la conscience et la volonté humaines.

Mais nous ne traitons pas, nous n’intégrons pas celles de nos expériences qui ont leurs origines dans la négation et les violations de la volonté humaine: celles que nous sommes obligés de vivre; celles que nous subissons malgré nous; celles qui sont le produit de nos arrière-pensées et par lesquelles nous sommes vécus. Nous avons parfois des ressentiments vis-à-vis de telles expériences. Nous voulons peut-être ne pas les reconnaître comme nôtres ou les cacher, même de nous-mêmes. Il se peut qu’on les justifie et les garde comme biens précieux. Mais nous négligeons de les traiter. Les expériences non traitées restent non résolues et non intégrées. Sans rapport avec nos attributs humains, elles occupent nos vies sous forme de fragments négligés et dépareillés.

Cet acte de négligence jette son ombre. Nos craintes et nos ambitions, nos préjugés et nos préconceptions, nos insécurités et nos anxiétés, notre égocentrisme ainsi que notre adhérence à tous ces facteurs sont les symptômes de notre négligence. Ils constituent l’ombre de notre négligence. La conscience brille toujours avec fermeté et clarté, mais elle est éclipsée par l’ombre. « L’éclairage » semble assombri. Ce qu’il y a à voir semble obscurci. Nous essayons de compenser la lumière amoindrie en projetant nos idées préconçues, nos craintes, nos besoins etc. Ainsi, nous restons avec le « connu » au lieu de rencontrer « l’inconnu ». En regardant nos projections, nous croyons être avec ce qui existe. L’ombre de la négligence interfère aussi avec la dynamique de la conscience. De plus, elle déforme les fonctionnements de nos sens intérieurs. Dans la mesure où on conduit sa vie menée par la conscience mal éclairée, dans cette mesure on vit une vie pré-humaine. Des expériences pré-humaines aliénées des attributs humains mènent à l’apprentissage pré-humain.

A n’importe quel moment de sa vie, on peut arriver à voir la vérité en ce qui concerne sa pré-humanité. A un tel moment, on utilise sa volonté pour initier le processus de l’humanisation de son existence. A partir de ce moment-là, on engage de façon volontaire son esprit conscient pour traiter le contenu de sa conscience qui inclut le subconscient et l’inconscient. Puisque la conscience, un attribut humain, constitue notre lien humain commun, le processus d’humanisation peut être accéléré par la conscience au travail dans un autre être humain. De même que nous contribuons à la pré-humanité les uns des autres par nos relations pré-humaines, de même nous pouvons devenir instrument pour rehausser le processus humanisant les uns chez les autres avec ceux de nos actes qui démontrent notre conscience de – nous-mêmes.

Dans le Silent Way, on se focalise sur le processus d’apprentissage qui a ses racines dans la conscience humaine, dans la volonté, dans l’affectivité. Alors que les étudiants apprennent la langue, l’enseignant à chaque pas, apprend à enseigner sans interférer, ni avec le potentiel humain que possèdent les étudiants pour apprendre, ni avec l’apprentissage réel de chaque individu. Puisque tous les participants dans la situation sont des apprenants et, en tant que tels, avancent de chaque endroit illuminé au suivant, testant, vérifiant, apprenant, transformant leur potentiel en réalité existentielle, intégrant et poursuivant leur travail, la présence de la conscience sous forme de prises de conscience peut être perçue facilement comme une caractéristique frappante de Silent Way.

Ce qui peut ne pas être si évident c’est la conscience comme présence constante:

  • étant le seul lien humain que nous ayons, aussi bien avec – l’« inconnu » du monde extérieur qu’avec notre vie intérieure, elle nous relie à notre avenir humain;
  • nous inspirant à être un apprenant avec la volonté de rencontrer ‘l’inconnu’ et de se laisser affecter par sa réalité et ainsi de le transformer et d’en être transformé au cours de notre interaction avec lui;
  • nous permettant de ressentir de la joie dans l’apprentissage avec la dignité d’êtres humains autonomes et responsables de la réalisation de nous-mêmes;
  • en se mobilisant en tant qu’enseignant ayant la volonté d’humaniser l’enseignement en apprenant à être vulnérable au potentiel d’apprentissage de ses étudiants et à leur apprentissage réel.

Dans le chapitre 13 de « The Science of Education – Part 2  » Caleb Gattegno parle de la conscience de sa façon concise habituelle comme étant « la condition aussi bien que la dynamique de l’apprentissage ». Mieux comprendre que c’est le cas demande un voyage intérieur pour apprendre à comprendre ce que ceci veut dire tout en témoignant à la fois de la présence et du travail de la conscience, à l’intérieur de soi-même.

© Shakti Gattegno
La Science de l’Education en Questions – N° 6 – février 1992

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